lundi 27 mai 2013

Rendez-vous sous les cerisiers, texte de Cendrine GENIN, illustrations de Nathalie NOVI.

        Ce matin, en voyant rougir les cerises du jardin, j'ai pensé à ce magnifique album et j'ai voulu partager avec vous cette chronique que j'ai écrite et que vous pouvez retrouver sur le site de la librairie Contrebandes.
       
        Le dernier Poilu a pu partir vers son éternel repos il y a peu. Les autres survivants de la Grande guerre se font rares, de même que leur mémoire. Après un temps en vient un autre. Néanmoins il est nécessaire de se souvenir des erreurs passées afin de ne pas les réitérer. Si vous désirez avoir un aperçu des désastres personnels provoqués par la Der des Ders, procurez-vous Rendez-vous sous les cerisiers.
        C'est un récit poétique de l'intime, à double voix, où une jeune fille découvre qui était sa grand-mère à son âge par le biais de lettres. Comme l'écrit si bien Cendrine Genin, « on croit toujours connaître ceux qu'on a de plus précieux ». Et pourtant, nous avons tous notre jardin secret, que nous gardons pour nous. La petite-fille devient la nouvelle dépositaire du secret de sa grand-mère, tout comme chacun de nous qui ose se plonger dans ces jeunes années du début du XXe siècle. A cette époque-là, les lecteurs adolescents d'aujourd'hui auraient pu être cette Marguerite et son Henri. Tous deux n'ont pas chanté longtemps Le Temps des cerises, mais ils en ont rêvé ! La couverture de Nathalie Novi donne bien le ton de l'œuvre : une jeune fille, comme baignée de soleil, cerises en pendants d'oreille, est pensive, perdue dans le bleu vague et froid, comme tournée vers le passé. Espoir et douleur se mêlent et livrent un admirable ouvrage.
Si à l'ouverture de la boîte contenant les précieuses lettres explosent à nos yeux des mots d'amour calligraphiés à l'encre de violette, à y regarder de plus près on se rend compte que ce sont des lettres du front et de « l'arrière ». Cet échange épistolaire entre les deux fiancés nous fait part des changements psychologiques et des conséquences intimes de la guerre sur chacun des deux. Les messages d'Henri et de Marguerite ne sont pas longs. Mais chaque mot juste et doux compte, et l'on se retrouve avec une telle intensité d'expression que l'on ne peut qu'être touché par cette sincérité. Et cela s'exprime encore davantage dans l'adresse et la signature de chaque lettre, ponctuées par des surnoms, toutes calligraphiées en pleins et déliés, comme reproduites à l'identique. Cependant, l'espoir d'un retour rapide au village et d'une vie paisible s'efface quand le silence du soldat s'installe après l'hiver, suite à ses inquiétants propos. La tourmente torture Marguerite qui se bat contre cette absence de réponse et ne peut rejoindre l'être aimé. Elle se sent profondément impuissante, comme affrontant un mur de douleurs. Et de désarroi elle pousse le Cri d'Edvard Munch. Les sublimes illustrations de Nathalie Novi donnent à voir toute la poésie de cette histoire, grâce aux couleurs chaudes d'espoir ou froides de tristesse, et grâce à une sorte d'effet sfumato qui estompe les contours et universalise le propos. C'est une tragédie à échelle humaine où les Nations défont et imposent des destins aux peuples – même à « l'arrière », où il faut continuer à vivre et à travailler malgré tout – et envoient délibérément des hommes se faire massacrer dans des boucheries sans nom. Combien de gens jeunes et moins jeunes arrachés de leur vie tranquille, obligés de partir se battre et de tuer des ennemis qu'ils ne connaissent pas, qu'ils ne haïssent pas, au péril de leur vie ! N'ont-ils pas été sacrifiés pour la gloire de la patrie ? Combien de vies brisées, broyées, asphyxiées au « gaz moutarde » ! Les mutineries étaient d'ailleurs férocement réprimées.
         Peu à peu la guerre fait effet. Elle dresse des murs entre les êtres. La solitude est criante : chacun est représenté seul dans un désert de nature, seul dans son monde, seul face à ses questionnements sans réponse. Mais malgré tout Marguerite tient bon. Ses lettres contiennent toujours une part de soleil, même si avec un tel horizon obscur, on peut s'attendre au pire. Mais de sa jeunesse, comme dans la chanson, elle « en garde au cœur une plaie ouverte ». Les lettres s'arrêtent et la petite-fille s'adresse directement à son aïeule pour nous livrer le fin mot de l'histoire. Les différentes intrusions de la deuxième personne sont profondément touchantes. Elles donnent vie aux personnages ; la femme désormais âgée semble à côté de nous. C'est alors que l'on apprend le dénouement inattendu. Une seule phrase abat la jeune Marguerite, alors que rien n'était parvenu à l'ébranler auparavant. Et finalement le rendez-vous sous les cerisiers – leur lieu amoureusement tenu secret – devient le théâtre d'un dernier adieu. On n'oublie jamais son premier amour.
On pensait qu'elle serait courte, que tout le monde serait rentré avant Noël, que ce serait la dernière. Rien ne fut vrai de tout cela. Les dirigeants en décideraient autrement. Les surnoms erronés de la Première Guerre Mondiale en accentuent le tragique, voire le pathétique, car combien d'enfants nés du bonheur d'une permission accordée ou de l'armistice, durent à leur tour prendre les armes une vingtaine d'années plus tard ? La guerre change les hommes, tout entiers, tous autant qu'ils sont.
Ce livre n'est pas un manuel d'histoire. Vous n'y trouverez pas de frise chronologique, ni d'événement précis. Mais vous partagerez poétiquement des émotions et des ressentis humains. C'est un album très émouvant où chacun peut avec douceur et tendresse s'identifier au destinataire comme à l'auteur des lettres, et alors mieux comprendre ces déchirements. Je vous le conseille vivement.
 

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