Grâce à
un récit exotique et dépaysant, qui sous la forme d'un témoignage
nous emporte dans le décor des îles Marquises, Gilles Barraqué
crée toute la culture et les divinités païennes de l'île de Notre
Terre pour son roman Au Ventre du monde.
Là, la jeune
Paohétama est un jour autorisée par le chef et le sorcier du
village, à « devenir un garçon » pour succéder à son
grand-père vieillissant en tant que pêcheur-maître des mers. Cette
sorte de métamorphose, qui n'est en réalité qu'un jeu de
faux-semblant pour mieux faire accepter à la société le fait
qu'une fille prenne la mer, n'est pas sans conséquence au quotidien.
Le regard et le comportement des autres changent malgré le doute.
L'hybride créé, au corps de fillette mais aux cheveux et au métier
de garçon, a un statut spécial. Il fascine. Même le grand-père
aimant l'appelle « Mon garçon », « fils ».
Seul Ui-i, le plus fidèle ami de Paohétama – non pas un chien,
mais un cochon – la reconnaît encore telle qu'elle est vraiment au
fond d'elle sans en être troublé.
De son côté, Paohétama ne
regrette pas le changement ; elle est attirée par la mer et
elle craint même de devoir un jour devenir femme car elle sait
qu'alors elle ne pourra plus naviguer ni plonger. En attendant, elle
profite de chaque sortie sur les eaux.
Et
c'est alors tout un monde marin que nous découvrons avec elle au fil
de ses apprentissages, une vie et une nature considérées avec
respect et humilité. Peu à peu l'ancêtre passe le relais, sent
qu'il n'est plus accepté par la divinité de la mer Oana, et un jour
la fille-garçon se retrouve seule sur sa pirogue, avec une grande
ambition bercée par les légendes de son village.
Au
large de Notre Terre se trouvent l'île de l'Autre Terre, où vivent
les terribles hommes-cochons, et le Ventre de Monde, qui a engendré
toute vie, et renfermant la plus grosse des perles réservée à qui
en sera digne. Paohétama espère bien recevoir le précieux objet
pour que son grand-père puisse en faire don à la mer lors de son
dernier voyage. Elle s'embarque alors pour cette aventure risquée,
sous la protection du sorcier Taua, et de son fidèle compagnon qui
ne l'abandonnerait pour rien au monde, Ui-i, véritable élément
comique du roman. Mais la traversée s'avère périlleuse et quelque
peu hasardeuse. La fatigue et la douleur s'invitent et ne sont pas
des alliées. Mais la magie opère. L'énorme bénitier du Ventre de
Monde offre à Paohétama une seconde naissance qui coïncide avec
son entrée dans la puberté. La désormais jeune fille à part
entière scelle son destin et celui des siens sous les meilleurs
auspices, et rétablit la paix entre les peuples. Et de ce fait Ui-i
et elles seront vénérés sur les deux terres. Il est parfois
surprenant de se rendre compte à quel point l'Autre peut être
proche de nous. Si proche que l'on peut même l'aimer.
Au
Ventre du Monde dépeint avec poésie une culture qui appréhende
la nature avec sagesse et respect. Chaque chapitre est une nouvelle
plongée dans l'océan ou dans le peuple de « bons sauvages ».
On peut aussi envisager ce texte comme un conte moderne qui a donc
une portée didactique. Ces exemples de paix, nous pouvons tous les
suivre.
Un
excellent roman jeunesse qui a la faculté d'apaiser.
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